MEDIA

ECHOS DU TERRAIN

Interview de Stephen KARANGIZI

1. Si vous jetez un regard rétrospectif sur vos dix années en tant que Directeur et PDG de la Facilité africaine de soutien juridique, quelles sont, selon vous, les étapes importantes franchies par la Facilité au cours de cette période ?

La Facilité a parcouru un long chemin. Tout d’abord, parlons des ressources humaines. Une institution est aussi performante que les personnes y travaillant. Au cours de la dernière décennie, nous avons réussi à constituer une équipe compétente, animée d’une grande passion pour ce qu’elle fait ainsi que pour l’institution qu’elle sert. D’un effectif de seulement six (6) personnes, nous sommes désormais passés à 36 membres du personnel de nationalités et d’origines diverses. Nous sommes également très fiers de pouvoir déclarer qu’au sein de son personnel la Facilité assure un équilibre complet entre les genres. On compte très peu d’institutions qui ont, comme nous, une répartition paritaire du personnel en termes de genre. En fait, l’effectif des employés de sexe féminin est légèrement plus élevé que celui des employés de sexe masculin.

Deuxièmement, jusqu’à présent, nous avons apporté notre soutien à plus de 300 opérations dans plus de 51 États africains. Fait encore plus important, la Facilité a fait preuve de flexibilité et d’innovation dans la satisfaction des divers besoins de ses membres. Aujourd’hui, elle dispose d’un portefeuille diversifié qui aide les pays à négocier des PPP dans les domaines des infrastructures et de l’énergie, ainsi que de la gestion des ressources naturelles.

Parallèlement, l’ALSF a aussi exploité la technologie et élaboré des outils innovants pour le renforcement des capacités et la gestion des connaissances.

Troisièmement, la marque ALSF est désormais bien connue. L’institution s’est forgée une réputation remarquable et solide en fournissant une expertise juridique et en renforçant les capacités de négociation des pays africains. Nous sommes devenus l’organisation spécialisée incontournable pour les pays africains lorsqu’il s’agit des accords commerciaux complexes et de transactions connexes liées à la dette publique.

Quatrièmement, au cours de notre mandat, nous avons pu lever plus de 110 millions de dollars EU destinés pour soutenir les activités de l’ALSF. Nous espérons vivement que nos partenaires financiers continueront de fournir les ressources nécessaires au soutien aux activités de l’ALSF.

En somme, au cours de mon mandat, la Facilité a : connu une croissance et une transformation remarquables de ses interventions ; accru le nombre de ses membres et ses efforts de mobilisation de ressources ; et accru sa visibilité et sa crédibilité sur le continent africain et dans le monde.

2. Existe-t-il un moment au cours des dix dernières années que vous pourriez considérer comme un tournant pour la Facilité ?

Oui - Je dirais que, pour l’ALSF, le quatrième trimestre de l’exercice 2012 et le premier trimestre de 2013 ont été un tournant important. En effet, nous avons obtenu deux importantes contributions financières, d’abord au 4e trimestre de l’exercice 2012, qui ont été rapidement suivies d’une autre contribution significative au début de l’année 2013. Ces généreuses contributions financières, ont coïncidé avec l’accroissement de la demande exprimée pour nos services, qui a plus que doublé en 2014. Notre capacité à répondre de manière rapide et adéquate à la demande croissante de nos services a renforcé notre crédibilité auprès des différentes parties prenantes et a incité d’autres partenaires financiers et stratégiques à suivre cet élan, afin de soutenir nos activités.

3. Que diriez-vous de l’implication et de la contribution de la Facilité sur le continent africain, notamment concernant les questions liées aux litiges avec les créanciers et à de gestion de la dette publique ?

Permettez-moi de situer un peu le contexte. En 2003, les ministres africains des Finances ont réalisé l’importance et la nécessité de créer une institution qui fournirait une assistance juridique aux pays africains, en particulier aux Pays pauvres très endettés (PPTE), afin de relever le défi des litiges avec les créanciers et de la négociation des contrats. En réponse, les pays africains et la Banque africaine de développement ont créé l’ALSF le 22 décembre 2008.

Conformément à son mandat, l’ALSF est la seule institution africaine qui aide les pays africains à négocier les demandes de paiements de leurs créanciers et à régler les litiges s’y rapportant. L’objectif est de parvenir à des résultats équitables et durables en matière de litiges avec les créanciers en vue de prévenir le surendettement des États africains respectifs.

4. Qu’en est-il de la négociation des contrats dans le secteur des ressources naturelles ? Est-ce vrai qu’elle n’était pas un objectif essentiel de la Facilité ?

En ce qui concerne le soutien aux négociations de contrats dans le secteur des ressources naturelles, nos interventions ont été importantes et sont bien accueillies à la fois par les gouvernements africains et les sociétés d’investissement qui comprennent qu’un accord équilibré conduit à une relation à plus long terme, ce qui atténue les risques d’annulation, en particulier lorsqu’un changement de gouvernement survient.

Il est inexact de dire qu’elle ne constituait pas un objectif dès le départ. Lorsque les ministres africains des Finances ont lancé un appel en faveur de la création de la Facilité, ils ont demandé en particulier que la fonction de négociation d’accords commerciaux complexes, notamment en ce qui concerne les ressources naturelles, la dette et l’infrastructure, soit incluse dans le traité, ce qui a été fait.

5. Selon certains, les flux financiers illicites (FFI) représentent la plus grande menace pesant sur les économies africaines - de quelle manière le travail de l’ALSF soutient-il la lutte contre les FFI ?

Nous apportons notre soutien à la lutte contre les flux financiers illicites (FFI) de trois manières. Premièrement, la plupart des litiges avec les créanciers qui bénéficient de notre soutien visent à atténuer les pertes financières résultant d’accords mal ou non négociés qui imposent des paiements aux gouvernements africains.

Deuxièmement, si on nous le demande, l’ALSF aide les gouvernements africains à renforcer leur capacité à retracer et à récupérer les ressources financières et les actifs externalisés de manière illicite.

Troisièmement, nous travaillons en collaboration avec la Banque africaine de développement et le Comité de haut niveau de l’Union africaine (dirigé par l’ancien Président de l’Afrique du Sud, S.E. Thabo Mbeki) pour mettre en œuvre leurs stratégies respectives de lutte contre les FFI.

6. Quelles sont, selon vous, les principales questions auxquelles la Facilité doit s’attaquer en ce qui concerne son but et son mandat vis-à-vis des gouvernements africains et des autres parties prenantes ?

S’il est pleinement mis en œuvre, le mandat de l’ALSF vient en complément aux buts des gouvernements africains visant à parvenir à un développement durable et inclusif. Dans des domaines clés comme l’utilisation efficace des vastes ressources naturelles et extractives, il est important que l’Afrique s’engage à respecter pleinement les principes de bonne gouvernance déjà consacrés dans nos documents clés comme la Vision minière africaine et l’Agenda 2063 de l’Union africaine. En outre, la Facilité aide les pays à s’assurer que les questions clés qui contribueront à la réalisation des objectifs de développement durable sont prises en compte.

7. De votre point de vue, quels sont les liens entre le droit et le développement et comment la Facilité contribue-t-elle au développement de l’Afrique ?

J’ai toujours été un défenseur du droit et du développement. Le droit devrait pouvoir servir à répondre aux besoins de développement de nos pays. À une époque où tous nos pays ont adopté des économies dirigées par le secteur privé, la situation devient d’autant plus complexe que la loi n’a pas été suffisamment dynamique pour s’adapter à ces changements. À titre d’exemple, la plupart des pays africains conservent des lois minières obsolètes qui ne sont pas adaptées à la conclusion d’accords de développement minier appropriés. C’est pour combler cette lacune que nous avons créé l’Atlas des législations minières africaines. Nous sommes en train d’élaborer un Atlas des législations pétrolières africaines pour réaliser le même travail dans ce domaine.

8. Pourriez-vous partager avec nous un moment spécial ou remarquable qui a marqué votre mandat sur le plan professionnel ou personnel ?

Il est fort difficile de citer un seul moment remarquable. Cependant, je peux en citer quelques-uns : le premier concerne la période où un gouvernement auquel nous fournissions des conseils a remporté une affaire importante devant un tribunal d’arbitrage, sans quoi ce dernier se retrouverait à payer immédiatement plus de 150 millions de dollars EU ; quant au deuxième, il a trait à la fois où nous avons aidé un petit pays à restructurer une dette importante, en la ramenant de 55 à 5 millions de dollars EU.

9. Quels espoirs nourrissez-vous pour la Facilité à l’avenir ?

La Facilité est désormais une grande marque qui réalise ce pour quoi elle a été conçue. Au départ, il nous a fallu persuader nos pays que nous pouvions les aider, car nous n’avions pas encore d’antécédents. Toutefois, tous les gouvernements africains nous connaissent désormais et savent de quoi nous sommes capables. De plus, nous avons dû convaincre d’autres parties prenantes, au-delà de notre organisation mère, la BAD, que nous pouvions utiliser des ressources pour avoir un impact sur de grands projets d’investissement. Nous avons maintenant de nombreux partenaires externes qui partagent pleinement nos conceptions et objectifs.

Avant tout, les succès de l’ALSF n’auraient pas été possibles sans le soutien ferme et engagé de notre organisation mère, la BAD, sous le leadership de son Président, Dr. Akinwumi Adesina. Le Président a été notre plus grand soutien en veillant à ce que le rôle et les réalisations de l’ALSF soient promus de manière adéquate, et en facilitant notre financement continu dans le cadre du guichet du FAD.

Mes attentes sont comme suit : si nous continuons à faire ce pour quoi l’institution a été créée, nous devrions être en mesure de faire encore mieux.

Il est toujours possible de s’améliorer et j’espère qu’Olivier, qui prend le relais, apportera le même désir et la même volonté d’élargir et de réaliser la vision de l’ALSF.

10. D’un point de vue personnel, qu’est-ce qui se profile à l’horizon pour vous au moment où vous vous retirerez de la Facilité ?

Je travaille dans le domaine juridique depuis près de 40 années. J’ai passé une bonne partie de cette période à contribuer à la réalisation du programme de développement de notre continent et j’ai l’intention de poursuivre sur cette voie, si on me le demande, car nous avons encore beaucoup à faire en tant qu’Africains.

Je suis déjà impliqué dans quelques programmes externes (externes à l’ALSF) sur le continent, qui visent à améliorer la bonne gouvernance, et j’espère poursuivre mon engagement dans ce domaine.

En outre, j’ai d’autres passions, comme l’agriculture, que j’ai bien envie de pratiquer, afin de montrer le bon exemple aux producteurs agricoles ordinaires, qui constituent la majorité de la population de mon pays d’origine.

Toutefois, pour ce qui est de la Facilité, nous avons maintenant un nouveau Directeur et PDG, qui a été choisi de manière rigoureuse par le Conseil de gestion et nous devons lui apporter tout le soutien dont il a besoin pour mener l’ALSF vers de plus hauts sommets.